43

 

Bosch décida de ne pas attendre le retour des hommes de Hong Kong dans la salle de conférences. Toujours embêté par l'altercation qu'il avait eue avec son coéquipier la veille, il gagna la salle des inspecteurs dans l'espoir de l'y trouver.

Mais Ferras avait filé et Bosch se demanda si c'était de propos délibéré qu'il était parti déjeuner tôt, afin d'éviter tout autre affrontement. Il entra dans son propre box pour voir s'il n'avait pas du courrier interne et d'autres correspondances. Il n'y avait rien de tout cela, mais il s'aperçut que le voyant rouge de son téléphone clignotait. Il avait reçu un message. Il n'avait pas encore pris l'habitude de vérifier sa messagerie sur son fixe. Dans la salle des inspecteurs de Parker Center, tout était nettement plus antique et il n'y avait pas de messagerie vocale. Tous les messages étaient dirigés sur une ligne centrale que suivait l'opératrice affectée au service des inspecteurs. Dès qu'elle en recevait un, elle le notait sur une fiche qui atterrissait sur le bureau du récipiendaire ou dans sa boîte aux lettres. Si l'appel était urgent, elle se chargeait d'en retrouver le destinataire en l'appelant sur son bipeur ou son portable.

Bosch s'assit et entra son code dans l'appareil. Il avait cinq messages. Les trois premiers étaient de pure routine et concernaient d'autres affaires. Il prit quelques notes sur un bloc et effaça les messages. Le quatrième avait été laissé la veille au soir par l'inspecteur Wu de la police de Hong Kong. Il venait d'arriver à son hôtel et voulait organiser une rencontre avec lui Bosch effaça le message.

Le cinquième était de Teri Sopp au service des empreintes Le message était arrivé à neuf heures et quart ce matin-là, à peu près au moment où Bosch ouvrait l'emballage plat contenant le nouveau bureau de sa fille.

« Harry, on a fait le test d'amplification électrostatique sur la douille que tu m'as filée. On a réussi à en sortir une empreinte et tout le monde est très excité dans le service. On a une concordance à l'ordinateur central de la Justice ! Appelle-moi dès que tu auras ce message. »

Bosch appela le service des empreintes en regardant par-dessus la cloison de son box et vit Gandle escorter les deux inspecteurs de Hong Kong jusqu'à la salle de conférences. Et lui faire signe de les rejoindre. Bosch leva un doigt - il avait besoin d'une minute.

- Service des empreintes.

- Pouvez-vous me passer Teri, s'il vous plaît ?

Il attendit dix secondes, son excitation ne cessant de croître. Pour ce qu'il en savait, Bo-jing Chang avait peut-être réussi à se faire libérer et était peut-être même de retour à Hong Kong, mais s'il avait laissé ses empreintes sur une des balles qui avaient tué John Li, la partie changerait du tout au tout. Ce serait une pièce à conviction. D'où la possibilité de l'accuser de meurtre et de réclamer son extradition.

- Teri à l'appareil.

- Bosch. Je viens juste d'avoir ton message.

- Je me demandais où tu étais passé. On a une concordance pour ta douille.

- Génial ! C'est Bo-jing Chang ?

- Je suis au labo. Laisse-moi aller à mon bureau. C'était bien un nom chinois, mais pas celui que tu m'avais laissé sur la carte. Je te mets en attente.

Elle s'éclipsa, Bosch sentant comme une grande lézarde se dessiner dans ses théories.

- Harry, vous venez ou quoi ?

Bosch leva la tête et regarda par-dessus la cloison de son box. Gandle l'appelait de la porte de la salle de conférences. Bosch lui montra le téléphone et fit non de la tête. Pas satisfait, Gandle sortit de la salle de conférences et rejoignit Bosch dans son box.

- Écoutez, ils laissent tomber, dit-il d'un ton pressant, mais il faut que vous reveniez pour finir ce truc.

- Mon avocat peut s'en occuper. Je viens de recevoir le coup de fil.

- Quel coup de fil ?

- Celui qui va tout chan... - Harry?

C'était Sopp. Elle reprenait la ligne. Bosch couvrit l'écouteur de sa main.

- Lieutenant, dit-il, il faut absolument que je réponde. Il ôta sa main de l'écouteur.

- Teri, reprit-il, donne-moi le nom.

Gandle hocha la tête et repartit vers la salle de conférences.

- Bon, alors ce n'est pas le type que tu m'as dit. C'est... Henry Lau, L-a-u. Date de naissance : 9 septembre 1982.

- Qu'est-ce que dit l'ordinateur central ?

- Arrêté pour conduite en état d'ivresse il y a deux ans. A Venice.

- C'est tout ?

- Oui. En dehors de ça, rien.

- T'as une adresse ?

- Celle de son permis de conduire... 18 Quarterdeck, Venice. Appartement 11. Bosch nota le renseignement dans son carnet.

- Bon, dit-il, et l'empreinte que vous avez, c'est du costaud, hein?

- Absolument, Harry. Aussi lumineuse qu'un sapin à Noël. Cette nouvelle technologie est merveilleuse. Ça va tout changer.

- Et il est question que l'État de Californie en fasse un dossier test?

- Là, moi, je ne me précipiterais pas. Mon superviseur veut d'abord voir comment ça marche dans ton affaire. Tu sais bien, histoire de voir si ce mec est bien ton tireur et comment ça se goupille avec les autres éléments de preuve. Ce qu'on cherche, c'est une affaire où la technologie fait partie intégrante de l'accusation.

- Ben, tu le sauras quand moi, je le saurai. Un grand merci, Teri. On va s'en servir tout de suite.

- Bonne chance, Harry.

Il raccrocha et regarda par-dessus la cloison de son box. Les jalousies de la salle de conférences étaient baissées, mais les lames ouvertes. Il vit Haller faire de grands gestes à l'adresse des deux hommes de Hong Kong. Bosch jeta encore une fois un coup d'œil au bureau de son coéquipier - encore une fois il était vide. Alors il prit sa décision et décrocha à nouveau.

David Chu était bien au bureau de l'AGU et répondit. Bosch le mit au courant de la découverte de l'empreinte et lui demanda de voir si Lau figurait au fichier des triades. En attendant, il allait, lui, passer le prendre.

- Pour aller où ? lui demanda Chu.

- Chercher ce type.

Bosch raccrocha et se dirigea vers la salle de conférences, mais pas pour prendre part à la discussion. Seulement pour mettre Gandle au courant de ce qui avait tout l'air d'être une belle avancée dans le dossier.

Gandle avait pris son air c'est-pas-trop-tôt lorsque Bosch ouvrit la porte et lui demanda de sortir un instant.

- Harry, ces messieurs ont encore des questions à vous poser.

- Ben, ils devront attendre un peu. On a une piste dans l'affaire John Li et il faut agir. Tout de suite.

Gandle se leva et se dirigea vers la porte.

- Harry, lança Haller de sa place, je devrais pouvoir gérer. Mais il y a une question à laquelle il faut répondre.

Bosch le regarda, Haller hocha la tête pour lui faire comprendre que la question était sans danger.

- Quoi ?

- Est-ce que tu veux qu'on rapatrie le corps de ton ex à Los Angeles ?

Bosch réfléchit. La réponse immédiate était oui, bien sûr, mais l'hésitation portait sur les conséquences de cette décision sur sa fille.

- Oui, finit-il par dire. Qu'on me l'envoie.

Il laissa Gandle sortir de la pièce et referma la porte.

- Qu'est-ce qui se passe ? lui demanda Gandle.

Chu l'attendait devant l'immeuble de l'AGU lorsque Bosch se gara le long du trottoir. Il tenait une mallette à la main - Bosch en déduisit qu'il avait trouvé quelque chose sur Henry Lau. Chu sauta dans la voiture et Bosch démarra.

- On commence par Venice ? demanda Chu.

- C'est ça. Qu'est-ce que vous avez trouvé sur Lau ?

- Rien.

Bosch se tourna vers lui.

- Rien ?

- Pour ce qu'on en sait, il a le nez propre. Je n'ai vu son nom nulle part dans nos dossiers. J'ai aussi parlé à des gens et passé quelques coups de fil. Rien. À ce propos... j'ai imprimé la photo de son permis de conduire.

Il se pencha en avant, ouvrit sa mallette et en sortit un tirage couleur. Puis il le passa à Bosch, qui y jeta quelques rapides coups d'œil en continuant de conduire. Ils arrivaient à la bretelle de Broadway, Bosch prit la 101 jusqu'à la 110. Les autoroutes étaient encombrées en centre-ville.

Lau avait souri à l'objectif. Le visage était frais et la coupe de cheveux ne manquait pas de style. Difficile de relier tout ça à un boulot des triades, surtout au meurtre de sang-froid d'un propriétaire de magasin de vins et spiritueux. Et l'adresse de Venice ne cadrait pas vraiment non plus.

- J'ai vérifié auprès du bureau des Tabacs et Armes à feu, reprit Chu. Henry Lau y est enregistré comme possédant un 9 mm de marque Glock, modèle 19. Il ne l'a donc pas seulement chargé il en est aussi le propriétaire.

- Quand l'a-t-il acheté ?

- Il y a six ans, le lendemain de ses vingt et un ans.

Tout cela disait à Bosch qu'ils touchaient au but. C'était la bonne arme dont Lau était propriétaire, et qu'il en ait fait l'acquisition dès qu'il avait eu l'âge légal indiquait à coup sûr que son désir d'en posséder une n'était pas nouveau. Cela faisait donc de lui un monsieur qui évoluait dans le monde que Bosch connaissait bien. Ses liens avec John Li et Bo-jing Chang apparaîtraient clairement dès qu'on le collerait en taule et se mettrait à lui décortiquer son passé.

Arrivés à la 10, ils prirent à l'ouest, vers le Pacifique. Son téléphone ayant bourdonné, Bosch décrocha sans regarder l'écran - il s'attendait à ce que ce soit Haller qui lui confirme que la réunion avec les inspecteurs de Hong Kong avait pris fin.

- Harry, c'est moi, le Dr Hinojos. On vous attend.

Il avait complètement oublié. Depuis trente ans il faisait tout simplement ce qu'il fallait dès qu'une enquête l'exigeait. Jamais il n'avait eu à penser à autrui.

- Oh, docteur ! s'écria-t-il. Je suis désolé. J'ai complètement... je suis à deux doigts de coffrer un suspect.

- Que voulez-vous dire ?

- Que nous avons du nouveau et que j'ai dû... Y aurait-il moyen que Maddie reste un peu plus longtemps avec vous ?

- C'est-à-dire que... oui, elle devrait pouvoir rester ici. En fait, je n'ai que du travail administratif jusqu'à ce soir. Mais... vous êtes sûr que c'est ça que vous voulez ?

- Écoutez, je sais que c'est nul. C'est vraiment mal. Elle vient juste d'arriver et moi, je vous la laisse et j'oublie. Mais c'est à cause de cette affaire qu'elle est ici. Je ne peux pas faire autrement que d'aller jusqu'au bout. Je vais serrer ce type s'il est chez lui et je reviens tout de suite en ville. Je vous rappellerai à ce moment-là. Et je viendrai la chercher.

- D'accord, Harry. Parler un peu plus longtemps avec elle ne fera pas de mal. Et vous et moi allons devoir nous trouver un petit moment pour causer. De Maddie d'abord, et après de vous.

- C'est entendu. Elle est avec vous ? Je peux lui parler ?

- Je vous la passe.

Maddie prit la ligne au bout de quelques instants.

- Papa ?

Dans ce seul mot elle avait fait tout passer : sa surprise, sa déception, son incrédulité, la terrible impression que son père la laissait tomber.

- Je sais, ma chérie. Je suis vraiment désolé. Il y a du nouveau et il faut que je suive. Reste encore un peu avec le Dr Hinojos et je viens te chercher dès que je peux.

- Bon.

Double ration de déception. Bosch se dit que ce ne serait sans doute pas la dernière fois.

- D'accord, Mad. Je t'aime fort.

Il referma son portable et le rangea.

- Je ne veux pas en parler, lança-t-il avant que Chu ait le temps de lui poser la question.

- OK, dit Chu.

La circulation se dégageant, ils entrèrent dans Venice moins d'une demi-heure plus tard. Bosch reçut un autre appel, et celui-là, il l'attendait : Haller lui annonçait que la police de Hong Kong renonçait à lui chercher des poux dans la tête.

- Et donc c'est terminé ?

- Ils vous contacteront pour le corps de votre ex-épouse, mais oui, c'est terminé. Ils laissent tomber tout ce qui vous concerne.

- Merci, Mickey. - Bah, dans la foulée...

- Envoie-moi la note.

- Non, Harry, on est quittes. Au lieu de t'envoyer la facture, j'aimerais assez que ma fille fasse la connaissance de la tienne. Elles ont à peu près le même âge, tu sais.

Bosch hésita. Il savait bien que Haller lui demandait nettement plus qu'une petite rencontre entre les deux filles. Bien que Haller soit son demi-frère, ils n'avaient fait connaissance qu'à la faveur d'une affaire à peine un an plus tôt. Que les deux filles se fréquentent et il faudrait que les deux pères en fassent autant et ça, Bosch n'était pas trop sûr d'y être prêt.

- OK, dit-il, dès que ce sera le bon moment. Pour l'instant, elle est surtout censée commencer l'école demain et il faut que je l'installe correctement chez moi.

- Ça me va. Fais attention à toi, Harry.

Il referma son portable et se mit en devoir de chercher l'adresse de Henry Lau. Les rues des quartiers sud de Venice étant dans l'ordre alphabétique, Quarterdeck se trouvait presque au bout, juste avant la pointe et Marina del Rey.

Passablement bohème, Venice n'en était pas moins chère. La résidence où logeait Henry Lau faisait partie de celles qui, tout en verre et stuc, commençaient à bousculer les petits bungalows de week-ends au bord de la plage. Bosch se gara dans une ruelle en retrait de Speedway et revint vers la plage avec Chu.

La résidence était en copropriété. Des pancartes placées devant indiquaient que deux maisons de ville étaient à vendre, mais aucun de ces panneaux ne précisait lesquelles. Ils franchirent une porte vitrée et se retrouvèrent dans un petit vestibule fermé par une porte de sécurité munie d'un panneau avec boutons d'interphones pour appeler les maisons. Bosch n'avait pas envie d'appuyer sur celui de la onzième. S'il découvrait qu'il y avait des flics à la porte de la résidence, Lau pouvait très bien filer par une issue de secours.

- On fait quoi ? demanda Chu.

Bosch appuya sur les boutons des autres maisons. Ils attendirent, enfin une femme répondit. - Oui?

- Police de Los Angeles, madame. On aimerait vous parler, dit Bosch.

- Me parler de quoi ?

Bosch hocha la tête. Il avait été une époque où personne n'aurait mis sa parole en doute. Une époque où on lui aurait ouvert immédiatement.

- Nous enquêtons sur un homicide. Pouvez-vous nous ouvrir, s'il vous plaît ?

Ils attendirent si longtemps que Bosch eut envie de sonner à nouveau, mais se rendit brusquement compte qu'il ne savait plus trop si le bouton sur lequel il avait appuyé était bien celui de la dame.

- Pouvez-vous montrer vos badges à la caméra, s'il vous plaît ? Bosch se retourna. Il ne s'était pas aperçu qu'il y en avait une.

- Là, dit Chu en lui montrant une petite ouverture en haut du panneau.

Ils levèrent leurs badges, la sonnerie de la porte intérieure ne tardant pas à se faire entendre. Bosch poussa la porte.

- Je ne sais même plus dans quelle maison elle est, dit-il. Ils entrèrent dans une manière de hall à ciel ouvert. Une petite

piscine se trouvait au milieu, les douze unités d'habitation ayant chacune une entrée qui y donnait, quatre au nord, quatre au sud, quatre à l'ouest et quatre à l'est. Située à l'ouest, la 11 avait donc vue sur l'océan.

Bosch s'approcha de la porte et frappa. Personne ne répondit. C'est alors que la porte de la 12 s'ouvrit et qu'une femme fit son apparition.

- Je croyais vous avoir entendus dire que vous vouliez me parler, dit-elle.

- En fait, c'est M. Lau qu'on cherche, répondit Chu. Savez-vous où il est ?

- Peut-être à son travail. Mais il m'a dit avoir une séance de tournage tous les soirs de la semaine.

- Qu'est-ce qu'il tourne ? demanda Bosch.

- Il est scénariste et travaille sur un film ou une émission de télé, je ne sais plus très bien.

Pile à cet instant, la porte de la 11 s'entrouvrit un rien. Regard trouble et cheveux en bataille, un type les lorgna. Bosch reconnut l'homme dont Chu lui avait montré la photo.

- Henry Lau ? lança-t-il. Police de Los Angeles. Nous aimerions vous poser quelques questions.

 

 

 

 

 

 

 

Les neuf dragons
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